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mpOC | Posté le 18 mars 2017
Édito
La fin des maîtres ?
Les étoiles sont des amas gazeux dont les rayonnements voyagent à une vitesse astronomique. De par la distance qui nous sépare de ces corps ardents, la lumière que ceux-ci propagent emploie un temps non négligeable avant de ricocher sur nos rétines.
C’est ainsi que le Soleil, étoile la plus proche de notre Terre, est perçu par les regards éblouis tel qu’il était en réalité il y à 8 minutes et des poussières. Plus loin de nous, la plupart des petits points flamboyants accrochés à la surface de la voute céleste se trouvent à une distance qui se calcule en années-lumière. La galaxie d’Andromède, par exemple, séparée par quelques 2, 5 millions d’années-lumière de la Terre, nous dévoile ses plus beaux éclats tels qu’ils étaient il y a 2,5 millions d’années. Il est donc possible que l’on observe, sans le savoir, des objets cosmiques ayant déjà disparu au moment où on les contemple. Ceci est fascinant ! C’est non sans nostalgie que l’esprit se souvient de l’enfant philosophe qu’il a été quand l’embellie octroie aux pupilles le privilège d’admirer un ciel nocturne aéré (ou lorsque la lumineuse émanation des lampadaires des villes et villages n’obscurcit pas le cosmos de ses éclaboussements meurtriers). Devant cette immensité, les affres de l’existence laissent place au sentiment étrangement rassurant d’être tout petit sur un grain bleuté voguant au milieu du vide intersidéral.
L’étendue de la curiosité est à l’égal de l’ampleur du mystère. Elle capture de nouveau l’être quand celui-ci observe, au travers de son télescope, les stars de la politique. Cet étrange univers évoque plus naturellement le cliché d’une planète naissante que celui d’un monde abouti et, même s’il est désolant de constater à quel point le mot « politique » a perdu de sa superbe , la mascarade n’en demeure pas moins envoûtante. Un peu à l’image de certaines palabres qui, bien que suintant d’idioties, ont tôt fait d’éveiller notre intérêt. Nous avons ainsi pu entendre il y a quelques semaines, lors d’un débat télévisé centré sur l’élection de Donald Trump intitulé « Le peuple a-t-il toujours raison ? » , que la démocratie américaine, de par son fameux système des grands électeurs, était une démocratie indirecte. Sous-entendu donc, du moins pour mes oreilles inexpertes, que les systèmes politiques européens basés sur l’élection et sur la représentativité seraient des démocraties… directes ! Un autre semblant de sottise émergea ce jour-là de l’orifice télévisé quand Emanuel Todd spécifia que la France n’était pas une démocratie. Le débat semblait alors prendre un peu de hauteur. L’espoir tomba malheureusement de son perchoir quand l’historien eut complété son intervention en ajoutant, avec un sentiment de malice non dissimulé, que l’Allemagne en était une, de démocratie. Le comble fut atteint quand, apparemment très fâché que l’on ait calomnié le pays des droits de l’homme de cette façon, un invité de cette épique discussion rétorqua qu’Emmanuel Todd disait n’importe quoi et qu’il fallait se rendre en Chine pour constater que nous vivions, bel et bien, en démocratie… (Ça aussi, c’est du grand n’importe quoi).
Pendant que nos « démocraties » représentatives agonisent aux soins palliatifs de l’hôpital pour civilisations en peines, il est légitime de nous demander si le simple établissement d’une démocratie effective, c’est-à-dire un régime où le peuple détiendrait réellement le pouvoir de prendre des décisions sur ce qui le concerne, changerait quoi que ce soit à l’état morbide de nos sociétés. Le recul de la pensée au profit de l’agir-réagir ainsi que la flambée de perversions constatée dans la cité n’encouragent guère à l’optimisme. La tentation est grande de décrire la dynamique sociale en clivant en deux parties disjointes ce qui constitue en réalité une seule et même entité . Riches et pauvres, politiciens et citoyens, patrons et ouvriers, financiers et clients. Ne serait-ce pourtant pas dans cet ensemble que nous devrions retrouver la constellation « peuple » ? Cette démarcation radicale, si elle paraît légitime, semble néanmoins encourager une partie de la population à diaboliser les élites et à angéliser la classe populaire. C’est ainsi qu’une illusion émerge, celle-là même qui attribue aux seuls détenteurs du pouvoir les déshonorantes médailles et plus viles passions.
Si l’aigreur populaire est palpable et que les désirs de changements paraissent présents, ceci n’augure pas de la direction que prendront ces velléités de transformations. Les idées de réformisme et de progressisme peuvent se confondre avec celles de la révolution et faire miroiter des merveilles. Si une démocratie s’appuyant sur une majorité de citoyens louangeant la croissance économique constituerait un progrès aux yeux de la légitimité démocratique, ce régime nous conduirait néanmoins vers un autoritarisme sans visage dont le message idéologique se retrouverait enclavé dans les inconscients de chacun. Les maîtres seraient alors enfin absous, programmés à l’obsolescence par des citoyens devenus pleinement « responsables » de leur jouissive existence.
Plus proche de nous (le modèle précité se trouvant heureusement, à l’instar de la galaxie d’Andromède, à des millions d’années-lumière de notre réalité) le scandale Publifin nous a récemment rappelé que, si une partie du peuple élit des individus censés le représenter, il n’a pourtant jamais été décidé que ces personnages puissent gagner près de 500 euros par minutes pour des participations à des réunions non-obligatoires. Il est évident qu’une simple substitution d’outils de surface ne chambarde pas une dynamique huilée en profondeur. En l’absence d’un chamboulement de l’âme, la ploutocratie restera une ploutocratie même si les classes modestes s’octroient les commandes du vaisseau social. Il serait dès lors intéressant de s’inspirer de Platon lorsqu’il discute de la société idéale dans La République (en mettant de côté l’idée anti-démocratique des philosophes rois). La société idéale constitue dans ce dialogue une forme de modèle que l’on s’efforcerait d’imiter, tout en reconnaissant que nous ne pourrons jamais en rendre un portrait épuré. L’homme contemporain aurait peut-être tout intérêt à prendre, lui aussi, le temps de voyager dans les dédales de son imaginaire afin de réaliser l’esquisse d’une telle cité. Avant d’envisager, pourquoi-pas, l’accouchement de l’angoissant projet de peindre effectivement et en toute responsabilité les toiles de ce monde.
Kenny Cadinu