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L’Escargot déchaîné n° 27

mpOC | Posté le 17 février 2016

EDITO
Une pseudo culture de l’excuse :le déni d’existence de la raison subjective
Nous pouvons décemment comprendre l’émotionqu’ont suscitées, et que suscitent encore, ce dans toutes les couches sociales, les attaques perpétrées à Paris en novembre dernier. Ces dernières
sont venues, en toile de fond d’une scène jonchée de cadavres, soulignées avec exergue par certaines réactions le clivage grandissant de nos sociétés sclérosées par le déni d’existence de la subjectivité, là où ces sociétés se revendiquent pourtant libres et civilisées.

Un propos et non des moindres est récemment sorti de la bouche d’un moindre type, rendu grand par son titre apparemment honorifique de premier ministre des Français. Ce propos, si nous ne devons pas l’objectiver outrageusement, c’est-àdire le vider de sa substance en le sortant de son intériorité contextuelle, demande néanmoins d’être discuté et appréhendé avec toute la raison subjective qu’il nous est donné d’avoir, si pour peu celle-ci nous est permise. Il s’agit d’une tentative de compréhension en somme, qu’on m’en excuse…

Voici une partie du discours de Manuel Valls lors de la commémoration des meurtres de l’hypercasher, pointant alors du doigt le terrorisme islamiste : « Pour ces ennemis qui s’en prennent à leurs compatriotes, qui déchirent ce contrat qui nous unit, il ne peut y avoir aucune explication qui vaille ; car expliquer, c’est déjà vouloir un peu
excuser ».

Les paroles reprises ici n’ont pas tardé à amener un lot de vives réactions, à raison, de la part du monde de la sociologie notamment, dont l’objet d’étude de prédilection est, aussi, la compréhension, la tentative d’explication, des faits de violences quels qu’ils soient ayant lieu dans une société donnée.

Quant à moi, bien que cette discipline convoite une partie de mes intérêts, je ne suis pas sociologue mais psychologue. En tant que psychologue, de citoyen doué de raison tout simplement, si je ne peux excuser le meurtre, le viol ou autres abominations humaines, je ne peux néanmoins me permettre de ne pas tenter de comprendre, d’expliquer ces crimes. Sans compréhension, point dévolution. Sans tentative d’explication, c’est le déni entendu psychanalytiquement
comme mécanisme pervers qui signe alors la négation de l’homme dans sa substance. Sans vouloir donner ici un cours de psychopathologie redondant, il semble utile pour la bonne compréhension de ce qui va suivre d’expliciter brièvement, et d’une manière certes simpliste, quelques données.

Là où le névrosé tente la difficile résolution de son conflit psychique en utilisant préférentiellement le refoulement comme mécanisme défensif
contre une agression mettant en péril son Moi, là où le psychotique utilise quant à lui la forclusion (le rejet à l’extérieur de la psyché) face au conflit, le pervers se sert quant à lui du déni, caractérisé en ceci que le sujet employant ce mécanisme défensif se comporte comme si une chose apparemment évidente dans son existence n’existait pas.

Le déni entendu en ces termes représente un moyen, économiquement peu coûteux en termes de dépense d’énergie psychique, permettant de contourner le conflit psychique - insupportable et donc très coûteux en énergie - en déniant, en envoyant paître inconsciemment une des composantes conflictuelles. Ainsi, dans la logique capitaliste par exemple, la subjectivité est déniée afin de réifier l’homme, en le chosifiant, en le rendant l’égal d’une simple chose utile à l’accumulation du profit par l’intermédiaire de la production de biens et à leur consommation. Le déni pervers entendu dans ce sens concourt par conséquent à la désubjectivation des âmes et à la non reconnaissance de ce qui est autre que soi. Quant Manuel Valls dit à une foule qu’il ne peut y avoir de tentative d’explication du phénomène terroriste, il laisse percevoir, sciemment ou inconsciemment, qu’il dénie littéralement tout un pan du phénomène en question. Tout ce passe comme si le phénomène terroriste ne pouvait être expliqué que par une formulation magique simpliste postulant que tout ce qui est mauvais est démoniaque, déniant dès lors une réalité évidemment bien plus complexe. Comme je l’ai mentionné plus haut, le déni pervers est un mode de fonctionnement psychique relativement économique. Avec ces propos, sans
pour autant que l’on puisse le qualifier de pervers au sens psychopathologique du terme, Valls commet un déni de penser, là où il semble considérer la pensée comme un délit. Déni de penser, pour tout un chacun, professionnel ou non qui tente, à sa manière, d’expliquer les violences, ce y compris les violences institutionnelles et endogènes au mode de fonctionnement capitaliste, afin notamment d’en favoriser sa difficile digestion.

N’oublions pas qu’ici, et ceci constitue bien malheureusement un symptôme trop présent dans nos sociétés, Valls semble encourager un combat sans même tenter la moindre compréhension de ce qu’il a à combattre. Il s’en va, le brave petit colonel, guerroyer sans tenter ne cesse qu’une esquisse de compréhension de l’ennemi. Ceci est ridicule, et dit plus posément complètement irresponsable. L’existence d’un problème, d’un symptôme, est pourtant bel est bien perçue, mais on fait comme si ce problème ou du moins les causes de son émergence n’existait pas, tout en vociférant des propos belliqueux et en encourageant, de surcroît, l’envoie de moult bombes de l’autre côté de la méditerranée en espérant régler, éradiquer le conflit. Ceci témoigne d’un triste aveuglément flirtant avec la pensée magique car, procéder de la sorte, à l’instar du déni pervers, ne risque pas d’apporter les résultats es-comptés et reste relativement peu couteux, en termes d’énergie psychique du moins car il en va bien entendu autrement si nous commençons à calculer les coûts des opérations sous le prisme de l’économie monétaire ou des vies civiles qui auront été sacrifiées, dans l’indifférence, sur le pilori de la folie guerrière.

Outre la dépense d’énergie psychique demandée par l’acceptation du conflit ambivalent, la com-préhension d’un phénomène particulier impose également et dans une certaine mesure un retrait de la folie objectiviste et quantifiante dont nos sociétés sont devenues avides. Là où nous voyons fructifier les appareils de mesures, les tests de personnalités dépersonnalisant, la folie du rangement paroxystique dans les cases de la pseudo-pathologie certains traits psychiques évidés par le fait même de leur substance la plus élémentaire, la pensée subjective et critique peine à trouver sa place. Tout se passe aujourd’hui comme si, de la médecine à la psychiatrie, en passant de l’économie à l’analyse des performances sportives, la compréhension, la pensée critique reposait uniquement sur le socle rassurant mais ô combien rigide du chiffrable et du tout quantifiable. La pensée contemporaine semble, d’une manière quelque peu aliénante, se fuir elle-même en se cachant derrière le positivisme éhonté et l’empiriquement correcte. Déniant toute phénoménologie, le monde d’aujourd’hui semble vouloir bâtir son édifice en escamotant une partie de l’esprit. Au final, la tentative d’explication d’un phénomène particulier se veut, dans ce qui s’apparente aux fous voeux de l’époque contemporaine, être chiffrable, là où la violence justement ne peut être comprise sans l’aspect qualitatif, sans la part subjective de l’âme. Nous assistons dès lors, et les propos de Valls en sont un adjuvant parmi d’autres, à un déni de penser, au meurtre de la subjectivité.

Comprendre, expliquer, ou du moins tenter de et en toute modestie, n’est pas synonyme de déresponsabiliser. Parait-il qu’en tentant de comprendre le fou, le violeur, le sadique ou le terroriste nous le déresponsabiliserions de ses actes. C’est en réalité tout le contraire qu’il se passe car toute tentative d’explication intellectuellement sincère, me semble-t-il, tente, subrepticement, de remettre l’église au milieu du village en donnant à chacun la pleine mesure de ses actes. Parler de l’existence de l’inconscient, d’un environnement socio-économique propice à l’agencement de tels agissements, discuter d’un contexte culturel venant apporter une pierre à l’édifice de la compréhension de certaines failles sociétales, ce n’est pas signifier à l’individu qu’il est prisonnier et déterminer outrageusement par les concepts précités. Au contraire, ici réside nos parts d’individualités à tous, parler en ces termes c’est dire, aussi, que chacun fait avec et d’une certaine manière face à ce qui se passe. Il existe certes des facteurs externes à lui-même, mais l’individu est libre, en dernière instance, et donc effectivement responsable, de ses actes. Ceci ne tombe apparemment pas sous le sens pour tout le monde, en particulier pour Valls qui semble préférer simplifier le débat en ne le permettant tout simplement pas.

Nous régissons avec bien trop de complaisance face à l’ignominie de certaines paroles, notre compréhension ou du moins le désir émanant de notre être servant de rempart contre l’escalade meurtrière qui pourrait surgir de notre pulsionnalité si nous ne tentions pas l’esquisse d’une explication.

Nous pouvons décemment comprendre, disais-je en introduction, les émotions suscitées par les crimes atroces commandités en novembre dernier à Paris. Comme nous pouvons comprendre certaines paroles, en les remettants dans un contexte dynamique particulier. Mais si nous pouvons les comprendre, nous ne sommes pas en accord avec ces mots, ou ces maux c’est selon. Tachons dès lors de faire décroître de tels propos poisseux, en les soumettant à l’examen critique de la raison subjective. Tâchons, en parallèle, à faire décroître de nos imaginaires les idées nauséabondes du fondamentalisme capitaliste et croissanciste.

Car il est sûr que, si nous tentons d’expliquer, de comprendre, avec notre subjectivité propre bien entendu, les mots et actes de Valls et autres inepties proférées par d’autres personnalités « éminentes » du monde moderne, nous ne les excusons pas.

Kenny Cadinu

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