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mpOC | Posté le 21 décembre 2013
Edito : Mandela, source d’inspiration
Dans les journaux et sur les ondes fleurissaient ce 6 décembre des milliers d’hommages à Nelson Mandela. Hommages mérités à un homme qui a passé 27 ans en prison à cause de son combat contre l’apartheid.
Mais parmi ces hommages, certains sonnent étrangement faux. Quelle bonne idée de limiter l’apartheid à une époque et à un lieu, quand il s’agit d’un esprit, d’une manière de voir et de traiter les personnes à l’intérieur d’un pays ! Il y a actuellement en Europe une étrange manière de projeter l’horreur dans un autre temps et dans un autre lieu, avec une étrange incapacité à faire son introspection. L’horreur, c’est l’apartheid, ce sont les camps de concentration du régime Nazi, ce sont les goulags staliniens. Et c’est vrai, c’était cela l’horreur. Mais n’oublions pas que les idées qui ont permis ces horreurs n’ont pas disparu. Elles sont toujours présentes, à l’intérieur même de l’Europe et permettent que se produisent les mêmes horreurs, sous nos yeux qui refusent de les voir, alors même que, pour reprendre les mots de notre premier ministre, nous affirmons que Mandela est une source d’inspiration.
Toutes ces hypocrisies sont indignes. Si Mandela est notre source d’inspiration, nous devons sans relâche nous souvenir de son combat et le continuer de toutes nos forces.
Comment affirmer que Mandela est une source d’inspiration quand on est premier ministre d’un pays dans lequel des Afghans sont contraints de dormir dans une église, dans lequel on rafle et on déporte les étrangers sous prétexte qu’ils ne sont pas les bienvenus sur notre territoire alors même que notre empreinte écologique fait de nous des voleurs qui consommons les biens des autres peuples et des générations futures, alors même que notre mode de vie condamne la grande partie du monde à la guerre et à la misère ? Mandela aurait-il accepté que la possession de papiers belges permette de telles discriminations entre les personnes ?
Comment affirmer que Mandela est source d’inspiration quand on est dirigeant d’un pays dans lequel l’exercice d’un travail rémunéré est la seule manière d’accéder au rang d’humain digne de ce nom, alors même que le travail rémunéré est de plus en plus rare, les moyens de production étant entre les mains d’un nombre toujours plus réduit de personnes, les ouvriers se voyant confisquer leurs outils de travail et dans l’impossibilité d’exercer leur métier ? Comment tolérer ce racisme anti-chômeur quand on prend pour modèle quelqu’un qui a lutté de toutes ses forces contre la discrimination ?
Comment affirmer que Mandela est source d’inspiration quand on s’accroche au pouvoir de générations en générations, et durant sa vie entière, alors même que ce dernier a rapidement fait un pas de côté, refusant de multiplier les mandats ?
Comment, au niveau européen, rendre hommage à Mandela en traitant comme des peuples colonisés les Grecs, les Espagnols, les Portugais, les Irlandais ? Comment une certaine chancelière ose-t-elle rendre hommage à Mandela en affamant les travailleurs de son propre pays, déséquilibrant toute l’Europe de ce fait ?
Nous demandons à nos gouvernements d’avoir la décence de se taire et de faire leur introspection. Nous leur demandons de laisser les sans-papiers, les sans-abris, les chômeurs et les étrangers rendre hommage à Mandela dans leur lutte de chaque jour. Nous souhaitons rendre Nelson Mandela aux militants de toutes sortes qui luttent pour les étrangers, les pauvres, le féminisme et qui tentent par leur action d’adoucir quelque peu l’apartheid que nous vivons chaque jour en Europe et qui ne cesse de gagner du terrain. Nos gouvernements pourront rendre hommage à Mandela quand ils auront donné des papiers à ceux qui n’en ont pas, qu’ils se mettront au service des gens et qu’ils cesseront de confisquer le pouvoir au profit d’une démocratie réelle.
Nous souhaitons rappeler à notre premier ministre que la grève de la faim a été utilisée plusieurs fois par Mandela. Nous attirons son attention sur les personnes qui ont fait la grève de la faim pour attirer l’attention sur le problème des Afghans. Nous espérons que pour une fois, il sera réellement inspiré par Mandela et leur rendra justice.
Marie-Eve Lapy-Tries
NB. Ce 15 décembre, soit après la rédaction de ce texte, Elio Di Rupo a accepté de rencontrer une délégation d’Afghans.