Accueil > Communiqués > Comment le capitalisme a créé l’assistanat
mpOC | Posté le 17 septembre 2013
Ah, l’image du chômeur-profiteur qui possède 4 tablettes et 5 écrans plats ! Cette image a malheureusement la vie dure. Elle prospère au sein des travailleurs, frustrés de s’épuiser à la tâche pour à peine plus que le voisin qui « profite » du système et qui vit – croient-ils- devant sa télévision.
Elle prospère même au sein des mouvements syndicaux, qui s’attachent à dire que non, leurs chômeurs sont de bons chômeurs qui cherchent vraiment du travail, comme s’il existait de mauvais chômeurs, qui eux, ne feraient absolument rien. Inutile d’ajouter à cela le plaidoyer du chômeur qui cherche, l’offre d’emploi convoitée par 50 personnes, etc. Intéressons-nous plutôt à ces personnes inutiles, ces surnuméraires qualifiés de parasites.
Le terme « assistanat » est une manière négative de désigner le système redistributif de la sécurité sociale, le plus souvent utilisé par des personnalités politiques de droite. La gauche, en effet, refuse de faire une distinction entre « bons » et « mauvais pauvres » et affirme qu’il faut que chacun dispose de quoi vivre. Pourtant, mener une politique de redistribution n’empêche en rien de s’interroger sur l’origine de cette impossibilité que rencontrent un certain nombre de personnes de s’insérer sur le « marché de l’emploi ».
Il n’y a en effet aucun chômage dans les sociétés autosuffisantes. Au contraire, il y a des moments où l’on a besoin de tous les bras, et d’autres moments, ritualisés, où l’on fait la fête ensemble. De manière générale, les sociétés rurales, disposant de terres communes (les fameux « commons » en Angleterre), peu hiérarchisées, connaissent une relative prospérité. On peut remarquer que chacun porte attention au bien commun et agit peu en fonction de son seul intérêt. Les problèmes de chômage commencent en Egypte et en Grèce pour former une véritable crise à Rome lorsque des paysans spoliés de leur terre se retrouvent en ville et sans travail. C’est l’accumulation de la richesse agricole par quelques-uns qui conduit à créer cette classe de romains assistés qui réclamèrent du pain et des jeux pour maintenir un semblant d’ordre. Lorsque Proudhon déclare « La propriété, c’est le vol », ce n’est pas une figure de style gratuite, c’est une réalité historique : on constate une appropriation progressive des terres communes par quelques-uns. La révolution industrielle viendra, qui installera le capitalisme, à savoir la propriété privée des moyens de production. Cette propriété privée ne pose pas de problème lorsque chaque paysan possède sa terre, lorsque chaque artisan possède son outil. Elle devient beaucoup plus préoccupante lorsque l’outil de travail de l’ouvrier est possédé par une autre personne, surtout lorsque la concentration d’outils dans les mains d’une seule personne prend des proportions internationales, lorsque les personnes travaillent dans des lieux sans pouvoir à la merci de pouvoirs sans lieux. Les ouvriers licenciés récemment chez Arcelor Mittal le vivent malheureusement dans leur chair.
Il est erroné de penser qu’un grand nombre de gens pourraient se satisfaire de vivoter seuls plus ou moins bien devant leur télévision en mangeant des chips. Les études sociologiques, et notamment la bien connue pyramide de Marslaw, démontrent que le besoin d’appartenance et de reconnaissance est un besoin fondamental. Pas un besoin vital, certes, mais fondamental. Ces personnes ne peuvent donc que mal vivre cet état d’ « assisté social » et la honte y afférent. Car en effet, bien souvent, les personnes qui bénéficient d’allocations sociales sont très isolées, et rencontrent peu d’occasion d’être utiles en dehors d’un emploi rémunéré. Toute activité valorisante est suspendue à cette nécessité de retrouver un emploi au plus vite, et lorsque l’emploi n’arrive pas, la personne se décourage et se démobilise.
Avoir un emploi n’est pourtant pas, loin s’en faut, la seule manière d’être utile dans une société. On constate même qu’une grande partie des tâches utiles est effectuée bénévolement. Cependant, l’impératif capitaliste du profit toujours plus grand et donc de la croissance économique considère comme valorisante toute activité qui crée du PIB et comme non valorisante toute activité qui n’en crée pas. Avec parfois des aberrations, car celui qui fabrique des armes sera considéré comme une personne utile alors que l’autre qui est resté au chômage par éthique personnelle sera considéré comme un assisté social ! Dans les années 1950 encore, une bonne partie des produits consommés étaient fabriqués à la maison. On faisait son yaourt, parfois son beurre, on avait un potager, on faisait ses confitures et ses conserves. On avait des poules, parfois des lapins ou des cochons, on cousait des vêtements, des rideaux, et on s’occupait des enfants et des vieux à la maison. On naissait chez soi, on mourrait chez soi et on lavait au sens propre son linge sale en famille. Il a fallu persuader les gens progressivement qu’un produit acheté tout fait ou qu’un service payé valait plus que ce qui était fait à la maison : la publicité s’en est très bien chargée. Pour cela, on a glorifié le progrès, on a traité ceux qui en restaient aux bons vieux repas maison de réactionnaires. Maintenant, avec la crise, le progrès s’est envolé, il reste l’impératif de croissance… et le constat que nous sommes tous des assistés. Incapables de soigner une poule, de faire pousser des tomates et complètement handicapés lorsqu’on nous éteint l’électricité. Dans dix ans, quel enfant écrira encore avec un crayon et du papier ?
Si les « assistés sociaux » ont été fabriqués par une mécanique de spoliation, par l’incapacité de trouver des activités valorisantes en dehors de l’emploi rémunéré et par le fait qu’aujourd’hui, on ne subvient plus à ses besoins, on consomme, cela appelle une réaction de type politique. Dans un premier temps, on pourra montrer par l’exemple comment se réapproprier des techniques ancestrales pour retrouver la maîtrise de sa vie et son autonomie. C’est effectivement valorisant de pouvoir subvenir à ses propres besoins. C’est valorisant aussi de s’impliquer dans des activités associatives, et de ne pas rester avec sa honte dans son coin. La solution politique passe aussi par la mise des mots sur les choses : un chômeur est au chômage à cause d’une situation sociologique bien précise, dans un contexte où les surnuméraires ont été fabriqués et voulus : mieux vaut pour le capitalisme un chômeur qui consomme qu’une personne qui reprend en main la satisfaction de ses propres besoins. Le système a besoin que le chômeur ait honte, et ce alors même que s’il retrouve un emploi, c’est qu’il le prend à quelqu’un d’autre ! Le chômeur ne doit donc pas avoir honte, il a même le droit d’être en colère ! Cela implique enfin de recréer des rapports de forces, de nouvelles luttes sociales, et nous espérons fortement que les syndicats ne lutteront plus tièdement pour conserver les droits acquis pour les « bons chômeurs » mais qu’ils travailleront pour changer complètement le modèle. Car enfin, une société qui fabrique des surnuméraires est une société barbare, et d’autres mondes sont tout de même possibles !
Marie-Eve Lapy-Tries, porte-parole du Mouvement politique des objecteurs de croissance