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mpOC | Posté le 21 mai 2013
Edito. Les tabous
Briser les tabous, pour le moment, c’est un peu la mode. C’est même très à la mode quand le tabou en question est un acquis social. Donc brisons les tabous !
Briser les tabous, pour le moment, c’est un peu la mode. C’est même très à la mode quand le tabou en question est un acquis social. Donc brisons les tabous ! Osons dire haut et fort qu’il faut augmenter l’âge de la retraite, diminuer le salaire minimum, limiter les allocations sociales dans le temps, moins rembourser les soins de santé – surtout s’ils s’adressent aux personnes très âgées. Brisons les tabous ! Osons un enseignement élitiste, osons pratiquer la préférence nationale, osons remettre en question l’indexation automatique des salaires. Brisons les tabous ! Osons dire que les riches payent trop d’impôts et que les pauvres ne contribuent pas à la société. Brisons encore les tabous, pour finir, en paraphrasant Malthus : « Un homme qui est né dans un monde déjà possédé, s’il ne peut obtenir de ses parents la subsistance qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a pas besoin de son travail, il n’a aucun droit de réclamer la plus petite portion de nourriture, et, il est de trop au banquet de la nature ; il n’a pas de couvert vacant pour lui. Elle lui recommande de s’en aller et elle mettra elle-même promptement ses ordres à exécution. »
« Toutes les femmes n’ont pas forcément des formes plantureuses et les androgynes ont aussi le droit de se sentir bien dans leur peau » affirmait un magasine accusé de n’afficher que des photos de femmes très – trop- minces. Eux aussi disaient « briser un tabou ». Pour attirer de la sympathie et de l’intérêt, il est très efficace d’affirmer que vous êtes dans la minorité et que vous êtes étouffé par une prétendue majorité. Dans le cas des femmes, un simple coup d’œil aux représentations féminines qui nous environnent suffit à nous faire comprendre la manipulation oratoire. En économie, la chose est plus complexe car le coup des « tabous » nous est régulièrement servi en cette période de crise. Pourtant, une analyse approfondie de la situation permet de mettre au jour la même manipulation oratoire. On met ainsi régulièrement en avant les chômeurs accusés de ne pas vouloir trouver de l’emploi, on fustige les cas de fraude sociale, oubliant les révélations fracassantes de l’offshore leaks. On trouve de malheureux millions en introduisant la dégressivité des allocations de chômage alors qu’il y a un milliard à trouver du côté des intérêts notionnels et qu’un impôt sur la fortune rapporterait 8 milliards. Mais on préfère réduire le nombre de personnes chargées de traquer la fraude fiscale. A nos briseurs de tabous, répétons qu’il n’y a jamais eu de tabous, mais des droits humains. A nos Malthus puritains de la finance, affirmons que nous ne sommes pas dupes et que nous savons bien que le rapport de force leur est favorable. Quel tabou voudront-ils encore briser pour sortir de la crise ou tout simplement maintenir leurs profits ? Que, ou plutôt qui sacrifieront-ils sur l’autel de l’austérité en prétendant que cela fera revenir la Croissance un peu comme les Mayas s’abreuvaient du sang des vaincus ?
Dans ces temps de crise, nous ne pensons pas qu’il faut « briser les tabous », ni « qu’il n’y a pas d’alternative ». S’enfoncer plus loin encore dans des solutions qui ont prouvé qu’elles ne marchaient pas n’a aucun sens. Les objecteurs de croissance sont très étonnés d’une part de voir des faits de plus en plus têtus, un monde qui s’enfonce dans la crise économique, sociale, politique et écologique et d’autre part des « responsables » qui évitent à tout prix de revoir radicalement le système économique de production et de consommation dans lequel nous sommes englués. Nous nous sommes réjouis en lisant que Benoît Ludgen souhaitait trouver d’autres indicateurs que le PIB et sortir du productivisme, mais nous avons lu avec stupeur quelques lignes plus bas qu’il voulait de la croissance. Il faudrait qu’il nous explique comment sortir du productivisme en… augmentant le PIB, à savoir la production et la consommation.
Le Mouvement politique des objecteurs de croissance appelle les formations politiques à prendre en compte toutes les alternatives et à les présenter aux électeurs en 2014. Actuellement, les formations politiques nous laissent seulement un non-choix entre une droite productiviste de richesse et une gauche redistributrice des richesses produites par la droite et donc toujours seconde. Notre décroissance n’est pas leur récession : au contraire, les objecteurs de croissance agissent au quotidien pour créer une économie émancipatrice qui pour nous passe par
La relocalisation de l’activité économique, la réorientation des aides publiques vers les productions utiles et locales.
La mise sous contrôle citoyen et démocratique des ressources naturelles et des services publics : transports, poste, télécommunications, réseau bancaire de première ligne, eau, énergies, …
Le contrôle strict du secteur financier, la taxation des transactions financières (taxe Tobin)
La gestion communautaire du travail et donc la diminution du temps de travail si le travail et les revenus y afférent viennent à manquer. La démocratisation de la gestion des entreprises, et chaque fois que c’est possible, l’autogestion par les travailleurs.
La mise en place d’une dotation inconditionnelle d’autonomie couplée à un revenu maximal autorisé, tous revenus confondus, car en-dessous d’un certain plancher, l’homme vit dans la misère et au-dessus d’un plafond, il spolie ses contemporains et les générations futures.
La réappropriation de la monnaie, pour que celle-ci ne serve plus à organiser l’obésité des uns et l’inanition des autres mais permette réellement les échanges.
Nous invitons les citoyens à être attentifs à nos briseurs de tabous, car il est très peu probable que ces prétendus briseurs de tabous acceptent de parler de décroissance. Habituellement, ils sont plutôt prompts à dire qu’il n’y a pas d’alternative et en fait de tabous, ils brisent plutôt des gens. Les défis posés par la crise écologique, sociale, économique et politique sont immenses : nous osons croire que d’autres mondes sont possibles et nous préférerions aller vers une société non-productiviste et humaine plutôt que vers une société productiviste, individualiste et barbare.
Marie-Eve Lapy-Tries