Mouvement politique des objecteurs de croissance (mpOC) – 2009-2022

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Réponse au pamphlet « Halte à la décroissance ! »

mpOC | Posté le 10 mai 2011

Réponse du mpOC à « Halte à la décroissance ! ».

Ceux qui ont compris l’impasse dans laquelle s’enfoncent nos sociétés sont trop peu nombreux pour les laisser s’opposer sur des jugements erronés. Il importe donc de présenter sans biais ce que les Objecteurs de Croissance défendent vraiment car il serait dommage que des économistes progressistes comme H. Houben, créent des adversaires imaginaires là ils devraient trouver des alliés. Il y a certes des différences importantes entre le projet des OC et celui d’un marxiste assez orthodoxe comme semble l’être Henri Houben, mais elles ne situent pas là où il les place.

Il est certain que les Objecteurs de croissance sont des défenseurs parfois passionnés de leur projet mais de là à penser qu’ils excommunient leurs détracteurs est très excessif. Les menaces planant sur l’avenir de l’Humanité et des écosystèmes naturels sont parfois dénoncées avec feu mais cela ne signifie pas que ceux qui ne vont pas exactement dans la même direction ou aussi loin dans leur dénonciation du système productiviste dans sa variété néo-libérale soient accusés de complicité. Les OC regrettent souvent des manques de lucidité mais les mettent sur le compte non pas d’un aveuglement intellectuel mais souvent sur la peur de changements remettant en cause le mode de vie de chacun. Cependant, il est déjà un point sur lequel nous sommes bien d’accord avec Henri Houben : ce n’est pas la Terre que « les dirigeants de ce monde mènent droit dans le mur » mais bien les peuples qui habitent cette Planète.

« 1. Une théorie floue, mal définie, avec des attentes contradictoires »

Il est tout à fait vrai que l’objection de croissance ne dispose pas de théorie claire, unique et bien définie. Je considère personnellement que c’est plutôt une qualité et que l’élaboration collective et progressive d’un projet qui accepte toutes les bonnes idées est une excellente manière d’avancer. Les OC reconnaissent d’ailleurs ne pas livrer un projet fini clef sur porte car ils veulent construire d’abord une matrice, un creuset dans lequel les alternatives peuvent être pensées et expérimentées
Précisons toutefois que, si les OC contestent la pertinence du concept de PIB, ce n’est pas lui dont ils contestent la croissance mais bien la croissance des productions et consommations de produits (en sachant que « les services » dont la croissance est parfois souhaitable ne se fait pas sans coûts matériels cachés). Les chercheurs universitaires qui s’attaquent à l’indicateur pervers qu’est le PIB sont nombreux. Les indicateurs alternatifs au PIB le sont tout autant. La position la plus sage est sans doute de considérer qu’aucun indicateur, aussi synthétique qu’il soit, ne peut résumer la situation de groupes humains. La sagesse est donc d’en considérer plusieurs en sachant que la pondération des paramètres qu’ils incorporent est toujours subjective. Ainsi, l’auteur de ces lignes éprouve une affection particulière pour le coefficient de Gini.
La multiplicité des approches que cite H. Houben est réelle mais il doit cependant faire attention aux dates des études ou ouvrages qu’ils prend en compte : l’évolution de la pensée de l’objection de croissance est rapide et des positions défendues par certains il y a quelques années sont aujourd’hui parfois profondément modifiées et une certaine unification (sans unité, heureusement) se précise. Ce mouvement est d’ailleurs parallèle aux multiples « conversions » (entre guillemets auto-ironiques accentuées) auxquelles on assiste régulièrement, tant d’écologistes déçus de ce que devient le développement durable que d’intellectuels de gauches convaincus des impasses du productivisme.

« 2. On passe aisément de la critique d’une position à la position diamétralement opposée »

Sans avoir peur (comme beaucoup) du mot « décroissance », le point de vue que j’essaie de présenter est celui des « objecteurs de croissance ». Ce courant de pensée ne veut pas voir tout décroître mais bien ce qui est inutile, dangereux ou (et c’est ici que cela devient polémique) ce qui prive d’autres humains du nécessaire pour une vie digne. Quand on passe à la concrétisation de la formule gandhienne du « vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre » cela remet en cause bien des privilèges (parfois inconscients) en Occident. Donc, il est vrai que l’on propose de voir décroître dans les pays développés bien des consommations et des productions afin que les pauvres de chez nous, les peuples du Sud et les générations à venir puissent voir leur bien-être croître ou ne plus décroître. Cette solidarité au cube comme l’on appelée certains est parfois en contradiction brutale avec des discours ou des promesses tenues aussi par certains qui se disent progressistes ou de gauche. Il y a là une vraie opposition avec la pensée que reflète Henri Houben et la lourde tâche des objecteurs de croissance sera notamment de dialoguer avec les forces syndicales et représentatives du monde du travail pour convaincre qu’il est des promesses de « plus de pouvoir d’achat » ou de « plus d’argent-poche » qui sont en fait, soit des illusions, soit des pièges infernaux, soit des manifestations d’égoïsme de groupes privilégiés.

«  3. Une erreur de diagnostic sur le contenu de la croissance et du PIB »

Le 3ème paragraphe de l’argumentaire d’H. Houben étant assez technique, je n’y répondrai pas en détail mais dirai simplement que s’il est vrai que le PIB est un bon indicateur pour le système capitaliste, la volonté de sortir de ce système mortifère condamne à nos yeux l’indicateur PIB plutôt qu’il ne le réhabilite. Une analyse économique qui se rapproche des raisons pour lesquelles les OC trouvent très peu pertinent le PIB est celle de Bruno Kestemont publiée dans la revue Etopia n° 8, « Autour de Tim Jackson, inventer la prospérité sans croissance »et intitulée « La place du marché dans l’économie belge » [1]. Il y est démontré que, dans une conception élargie de l’économie, le marché représenterait en Belgique moins de 1/7ème des flux de biens et services. Cette donnée à première vue étonnante montre bien que la volonté des OC d’élargir la sphère de l’autonomie n’est pas une utopie mais une possibilité déjà réelle mais en opposition frontale avec les ambitions du capitalisme.

4. « La croissance n’est pas au centre des objectifs capitalistes »

Ce titre du 4ème paragraphe d’H. Houben est cette fois vraiment en contradiction avec l’analyse que les OC font de ce système. Contrairement au marxisme qui n’en voit que 2, l’OC pense qu’il y a 3 acteurs économiques : les travailleurs, les entrepreneurs et les capitalistes (rentiers). Certes, au XIXème siècle, il y avait souvent fusion entre les 2 dernières catégories mais ce n’est plus le cas majoritairement aujourd’hui. Le capitaliste est celui qui a de l’argent en excès et peut le prêter contre intérêt là où il manque, c’est-à-dire dans les entreprises naissantes ou qui veulent se développer et dans les ménages où l’appétit de consommation pousse aussi à s’endetter. Les capitalistes se sont attachés la soumission des managers des multinationales grâce au subterfuge des stock-options qui en fait de mini- actionnaires attachés à la rentabilité boursière plutôt qu’à la santé économique de leur société. Ce système parasitaire (de plus en plus parasitaire : la ponction du capital sur la richesse créée est passée de 25% à 35% en 30 ans) ne peut se maintenir que par la croissance qui oblige entrepreneurs et consommateurs à emprunter et donc à engraisser le capital. Non seulement celui-ci a conquis de nouveaux territoires (aujourd’hui quasi le monde entier), de nouveaux secteurs (privatisation des services publics aujourd’hui en cours) mais doit pour continuer sa progression cancéreuse s’appuyer sur une croissance économique sans fin. Ce que les marxistes traditionnels ne comprennent peut-être pas encore tous c’est qu’en remettant en cause la croissance, c’est le capitalisme lui-même que l’OC espère assécher et mettre en déroute, ce à quoi a échoué le mouvement ouvrier depuis 150 ans.

« 5. La critique n’est plus centrée sur les rapport sociaux, mais techniques »

Il ne faut pas confondre les OC avec les tenants du capitalisme vert : notre critique est bien sociétale et pas seulement technique. Certes, nous montrons souvent que la technique est dévoyée au service du profit et pas de l’intérêt collectif mais le combat vise non pas seulement à changer de techniques mais à changer de société. Henri Houben propose lui de changer de propriétaires des moyens de production pour que tout change. Mais l’expérience du socialisme existant que ce soit en URSS & Co ou en Chine montre que le productivisme d’Etat est tout aussi néfaste que le productivisme néo-libéral. L’OC attaque ailleurs et plus va loin : ce n’est pas la propriété des moyens de production qu’elle veut modifier mais le sens même de cette production, son utilité sociale, les conditions de travail avilissantes qu’elle impose aux travailleurs, les horaires insensés et le chômage de masse qu’elle promeut pour déséquilibrer en sa faveur le rapport de force entre travail et capital.
Nous sommes totalement sur la même longueur d’onde que les marxistes orthodoxes quand ils luttent cotre la privatisation des services publics mais nous nous en détachons quand ils croient que nationaliser les entreprises changerait quoi que ce soit à la logique productiviste et travailliste du système. Nos chemins divergent donc là (mais nous n’ostracisons pas pour cela ceux qui croient en d’autres voies).

« 6. Une lutte contre les modes « productivistes » ? »

Ce très long paragraphe semble avoir pour but de démontrer que le socialisme n’est pas nécessairement anti-écologique, ni automatiquement productiviste. Nous pouvons en être d’accord comme avec le fait que le capitalisme sous sa forme impérialiste a dévoyé l’expérience qui a débuté en Russie en 1917. Mais le passé est le passé, l’expérience a échoué et les enseignements qu’on peut en tirer montrent que, si l’on veut aller vers quelque chose qui réponde aux aspirations de justice sociale du socialisme du XIXème siècle, d’autres voies d’accès sont à explorer. Et du socialisme, il faudra retenir d’autres approches que celles, allemandes, qui se sont imposées fin XIXème et au XXème siècle et, par exemple, se souvenir des intuitions du socialisme à la française (Fourrier, Proudhon, Saint-Simon). Tout cela a fort vieilli mais il reste du bon à retenir.
D’ailleurs, ne voit-on pas que, sur les buts de l’économie, de Engels à Keynes en passant par la sagesse antique d’un Aristote, que le respect du vivant, le rejet de la cupidité (chrématistique), la valorisation du temps libre, de l’autonomie, de la créativité de chacun, de la culture et de la recherche du sens de la vie sont des objectifs oubliés dans nos sociétés qui n’ont plus qu’un seul objectif : l’accumulation de choses mortes, d’objets sensés nous apporter le bonheur égoïste de l’homo oeconomicus. Pour les OC, l’économie doit donc redevenir un moyen au service de la société et non plus un objectif en soi. Ils prônent une vie riche plutôt qu’une vie de riche.
Les OC ne dénigrent pas les valeurs à la base du socialisme mais bien sa soumission au productivisme, que ce soit sous ses formes communistes ou social-démocrates. Le socialisme n’est pas l’ennemi.

« 7. Un retour à la petite production marchande ? »

Ce 7ème paragraphe montre le mieux la mécompréhension d’Henri Houben sur ce qu’est l’OC. Ainsi, le fait que nous prônions la relocalisation, la décentralisation, la création de petites entreprises autonomes, autogérées, est un moyen d’atteindre aujourd’hui plusieurs objectifs :
- préserver l’environnement des effets néfastes d’une production mondialisée avec transports gigantesques et polluants ;
- enrayer l’obsolescence organisée
- créer des expériences de production à l’écart du système capitaliste (l’économie sociale, le mouvement coopératif, le mouvement mutualiste à ses débuts n’ont rien fait d’autres) ;
- trouver des modes de démocratie économiques encore à développer.
Ceci ne veut pas dire que nous imaginons 7 (ou bientôt 9) milliards d’humains vivant uniquement avec de telles entreprises. Il y aura encore, à perspective humaine, un marché avec des échanges monétarisés. Les monnaies alternatives (surtout lorsqu’elles sont fondantes et donc non capitalisables) sont un moyen de promouvoir les productions et consommations locales mais pas une alternative au système global. Par contre, cette économie AVEC marchés ne doit pas rester une économie DE marché où toutes les règles sont imaginées pour maximiser les profits de quelques-uns. La question de la redistribution est donc importante, c’est pourquoi les objecteurs de croissance explorent aussi la voie de l’allocation universelle.
Pour ce qui est de l’organisation des sociétés, les OC sont certes anti-autoritaires sur beaucoup de points mais ils savent que l’Etat protège les faibles contre les puissants. Donc pas d’Etat minimal pour les OC qui considèrent les libertariens comme les pires des capitalistes. Nous voulons un Etat (ou plutôt des pouvoirs publics bien contrôlés par la population - démocratie bien plus participative) fort, empêchant les propriétaires des moyens de production d’externaliser leurs nuisances. C’est ce que nous décrivons comme mieux d’Etat. Mais H. Houben, devrait savoir cela et je suis étonné qu’il confonde la société future que les OC veulent contribuer à construire avec les îlots de résistance et de survie que certains tentent d’installer au milieu de l’océan capitaliste déchaîné.

8. Conclusions

Sur base d’une lecture erronée de ce qu’est l’OC, Houben conclut que le projet des décroissants n’a aucun bien-fondé. Sur base d’une telle lecture, j’aurais sans doute la même conclusion. Mais il part là d’une invention, mal éclairée par une lecture partielle ou dépassée de ce qu’est l’objection de croissance. Il y a donc un grand travail de diffusion de nos idées à réaliser. Le chapitre économie-finances du mpOC est terminé et il n’attend plus qu’une assemblée générale pour l’approuver officiellement. La diffusion d’un tel document aidera à saisir, au-dehors de mpOC, ce que nous proposons réellement.

Alain Adriaens

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