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mpOC | Posté le 18 mars 2011
Le mpOC s’associe à la douleur du peuple japonais.
Le risque nucléaire zéro n’existe pas.
La raréfaction progressive des énergies fossiles et l’envolée de leurs prix constitue un risque majeur pour la sécurité de la filière nucléaire.
Les partis Belges qui ne s’opposent pas à la prolongation des centrales nucléaires doivent justifier leur politique.
La catastrophe de Fukushima en cours plaide pour la sortie rapide du nucléaire et un changement de cap profond de nos sociétés productivistes.
Le Japon, terriblement affecté par les conséquences d’un tremblement de terre et d’un tsunami d’ampleurs historiques, fait face à une menace nucléaire majeure et inédite. Le mpOC s’associe humblement à la douleur du peuple japonais.
La catastrophe naturelle a très durement affecté la population japonaise, particulièrement sur les côtes où le tsunami a frappé en plus du séisme. A cette catastrophe naturelle vient s’ajouter le désastre nucléaire, conséquence d’une politique énergétique qui est, elle, du ressort de l’Homme.
A l’heure où ces lignes sont écrites et alors que les travailleurs des exploitants japonais mettent leur vie en jeu pour essayer de reprendre la maîtrise d’une situation qui échappe au contrôle de spécialistes dont l’expertise est pourtant reconnue internationalement :
les problèmes de plusieurs réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi vont s’empirant [1], alors que l’accident a été requalifié au niveau 6 sur 7 sur l’échelle INES par l’ASN française (contre 4 précédemment) [2],
le manque d’informations et de transparence des autorités nippones est préoccupant, notamment parce qu’il empêche de prendre la pleine mesure des rejets de radioactivité et de connaître la composition isotopique de ces rejets [3],
plusieurs mesures de radioactivité font cependant état de niveaux de contamination très anormalement élevés à proximité immédiate des réacteurs qui ont explosé [4] mais également à des distances plus éloignées. Des pics momentanés de radioactivité ont été rapportés également à Tokyo [5].
Les impacts locaux, nationaux et internationaux de cette catastrophe nucléaire ne sont pas encore connus. La dispersion de quantités importantes de particules radioactives dans l’atmosphère et l’océan aura des effets dont l’ampleur reste à ce jour inconnue, mais il est dores-et-déjà certain qu’ils seront graves.
Partout, le lobby nucléaire et ses relais étatiques et médiatiques se sont dans un premier temps agités pour tenter de masquer l’ampleur des dégâts, et maintenant affirmer que cet accident – comme tous les autres ! – ne peut se reproduire ailleurs, que la filière nucléaire est sûre, propre et peu chère. Autant de mensonges profondément irresponsables qui appellent des condamnations systématiques.
La catastrophe en cours au Japon constitue un nouveau signal qui doit être déterminant : l’énergie nucléaire est une énergie :
extrêmement dangereuse : les accidents nucléaires sont fréquents [6], les risques associés sont d’une gravité potentielle qui connaît peu ou pas d’équivalents,
extrêmement polluante : la filière nucléaire n’est pas neutre en carbone. L’extraction des matériaux fissiles dans d’autres parties du monde est extrêmement polluante. La filière produit des milliers de tonnes de déchets radioactifs dont on ne sait pas quoi faire. Il n’existe pas non plus de solution technique connue pour le démantèlement des centrales,
et extrêmement coûteuse : l’industrie nucléaire bénéficie de subsidiations publiques exorbitantes, ces coûts ne sont pas intégrés dans le prix facturé et s’y ajoutent donc. Le coût du démantèlement des centrales et du traitement des déchets radioactifs n’est pas n’est pas non plus pris en compte ou de manière excessivement partielle. Le coût des destructions de la santé humaine et de l’environnement est lui aussi exorbitant et n’est pas non plus intégré dans le coût du kWh nucléaire.
Le développement de la filière nucléaire actuelle et sa « sécurisation » reposent sur trois hypothèses générales :
Ces trois hypothèses de « business as usual » sont de toute évidence très peu réalistes.
La catastrophe de Fukushima indique une nouvelle fois que le risque zéro n’existe pas : le contrôle de la technologie nucléaire est relatif et partiel.
Il est impossible de garantir la stabilité sociétale future, pourtant nécessaire à la surveillance et la gestion des déchets nucléaires pour lesquels il n’existe pour l’instant aucune solution.
Il est par contre possible de garantir que les changements dans les années et décennies à venir vont être majeurs et auront un impact fort sur nos sociétés. En dehors de tout épisode imprévisible et néanmoins possible comme un tremblement de terre, deux causes de changements structurels sont connues :
le bouleversement climatique va augmenter le nombre d’épisodes météorologiques violents, y compris en Belgique. Par exemple, une importante vague de chaleur estivale pourrait provoquer une baisse des cours d’eau rendant très difficile le refroidissement de réacteurs nucléaires de Tihange (Meuse). Des conditions météo extrêmes en mer du Nord pourraient avoir des effets inattendus notamment sur les circuits de refroidissement des centrales de Doel. Par ailleurs le risque sismique en Belgique a été insuffisamment pris en compte lors de la construction des centrales [7],
l’ère de l’énergie chère va avoir un impact majeur sur nos sociétés industrielles hyperdépendantes des énergies fossiles. En particulier, le « pic du pétrole » franchi selon l’Agence Internationale de l’Energie en 2006 pour ce qui concerne les huiles conventionnelles, ne peut pas ne pas avoir de conséquences profondes sur nos sociétés.
Le lobby nucléaire se sert du renchérissement des prix du pétrole et de l’impact sur le portefeuille des consommateurs comme d’un argument pour relancer les investissements dans la filière nucléaire.
Nous savons que les changements structurels liés aux conséquences de la surconsommation d’énergies fossiles (épuisement des ressources et bouleversement climatique notamment) sont à l’œuvre et qu’ils hypothèquent sérieusement les conditions de stabilité future de nos sociétés. Ils pèsent par conséquent directement sur la filière nucléaire dont les conditions de stabilité seront toujours moins rencontrées.
Le pic du pétrole constitue une menace majeure sur la stabilité nécessaire à la sécurité nucléaire.
a. Le pic du pétrole fait peser une pression directe et majeure sur la sécurité nucléaire.
Le rapport Hirsch effectué pour le Département de l’Energie US, par la Science Applications International Corporation (SAIC) en 2005 notait dans son introduction que :
« L’arrivée du pic de la production pétrolière mondiale se présente aux Etats-Unis et au monde comme un problème de gestion des risques sans précédent. A l’approche du pic, les prix des carburants liquides et la volatilité des prix augmenteront dramatiquement et, sans une atténuation adéquate, les coûts économiques, sociaux et politiques seront sans précédent. Des options d’atténuation viables existent à la fois du côté de l’offre et de la demande, mais pour avoir un impact substantiel, elles doivent être engagées plus d’une décennie avant le pic. »
Selon l’Agence Internationale de l’Energie, le pic du pétrole conventionnel a été franchi en 2006.
Dans les conclusions du même rapport, M. Hirsch affirmait que le pic du pétrole serait « abrupt et révolutionnaire ».
L’armée des Etats-Unis a averti des conséquences potentiellement très préoccupantes du franchissement du pic du pétrole dans un rapport de 2008 :
« Les implications pour les conflits futurs sont inquiétantes. (…) On ne devrait pas oublier que la Grande Dépression a donné naissance a plusieurs régimes totalitaires féroces qui recherchaient la prospérité économique de leurs nations dans des conquêtes brutales, tandis que le Japon entra en guerre en 1941 pour sécuriser ses approvisionnements énergétiques. » (Join Operation Environnment 2008, pp. 17-18) [8].
L’armée Allemande a fait de même dans un rapport du mois d’août 2008, citant les risques de déstabilisation des marchés et des institutions par les pénuries de pétrole. [9]
b. Quelques conséquences attendues du pic du pétrole, et les effets probables sur la filière nucléaire :
Contrairement à ce qu’affirme le lobby nucléaire et ses relais, le renchérissement des prix de l’énergie n’est pas un motif pour se tourner vers le nucléaire, au contraire.
Le mpOC souligne que la raréfaction progressive des énergies fossiles et l’envolée de leurs prix constitue un risque majeur pour la sécurité de la filière nucléaire.
Il est question en Belgique de prolonger la durée de vie de 3 centrales nucléaires (Doel I et II et Tihange I) de 10 ans, en revenant sur la loi dite de sortie du nucléaire de 2003. Alors que la Suisse et l’Allemagne ont décidé de suspendre temporairement les décisions de prolongations de leurs centrales, qu’en est-il en Belgique après la catastrophe de Fukushima ?
Positions des partis francophones :
Ecolo a pris une position intermédiaire en jugeant que : « compte tenu du caractère ingérable lié à la dangerosité de la technologie, continuer à y investir des sommes faramineuses ou prolonger à tout prix la durée de vie de nos plus vieux réacteurs serait peu responsable » [10], sans condamner clairement et officiellement la potentielle prolongation des centrales. Faut-il entendre par là que des investissements non faramineux pourraient être acceptables, et que la durée de vie des réacteurs les moins vieux pourrait être prolongée ?
Le PS affirme qu’ « il faut rester dans la logique de la sortie progressive de l’énergie nucléaire, tout en garantissant la sécurité d’approvisionnement et des prix corrects pour les consommateurs. L’énergie nucléaire est une énergie de transition. Il n’est donc pas question de construire de nouveaux réacteurs nucléaires » [11]. A la demande semble-t-il du ministre fédéral en charge de l’énergie M. Magnette, la décision de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires a été repoussée pour une durée de 1 an. Dans ce laps de temps, des « stress test » doivent être réalisés sur les centrales. Le contenu et les limites de ces « stress test » ne sont pas connus.
Le MR est favorable à l’énergie nucléaire et n’exclut pas la construction de nouvelles centrales. La porte-parole du lobby nucléaire en Belgique, Madame Diana Nikolic, est d’ailleurs conseillère communale MR à Liège.
Le cdH dont le travail pro-nucléaire est également connu, propose notamment une accise sur l’uranium [12], ce qui revient à espérer tirer des revenus d’une activité nucléaire dès lors prolongée. M. Magnette s’est rapproché de cette idée le 17 mars 2011 [13].
Un consensus politique sans résistance se dessine donc pour prolonger la durée de vie des centrales nucléaires belges au-delà de la date prévue de leur arrêt, et par la même occasion de produire davantage de déchets nucléaires en Belgique alors qu’aucune solution de retraitement n’existe.
Il est pourtant possible d’entamer dès aujourd’hui la sortie du nucléaire, sans chute de production électrique [14], ce qui est en outre nécessaire au vu de la captation des investissements notamment publics de la filière nucléaire, lesquels doivent urgemment être réalloués vers une politique énergétique durable (sobriété, efficacité, renouvelable).
Prolonger la durée de vie de centrales nucléaires au-delà de leur durée de vie initiale relève de la déraison, alors même que l’histoire a prouvé à de multiples reprises et aujourd’hui encore à Fukushima que la technologie nucléaire, particulièrement dangereuse, ne peut pas être entièrement maîtrisée.
Les partis politiques en faveur de la prolongation des centrales nucléaires belges ou d’une partie d’entre-elles devraient indiquer de quelle manière ils comptent :
démanteler les centrales nucléaires sans risque pour la population et l’environnement,
gérer les déchets nucléaires dont la quantité augmenterait dès lors que la durée de vie des centrales serait prolongée, sans risque pour la population et l’environnement,
réaliser et financer ces opérations dans un contexte où les énergies fossiles seront toujours plus rares et plus chères.
Sans réponses claires, argumentées et chiffrées à ces réponses basiques, les partis politiques en faveur de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires témoigneraient d’une irresponsabilité totale.
Les risques qu’impliquerait la décision de prolonger la durée de vie des centrales et de produire encore plus de déchets nucléaires seraient entièrement reportés sur la santé de la population et l’environnement, alors qu’il est de notoriété publique qu’aucune compagnie d’assurance n’accepte de couvrir intégralement ces risques liés aux activités de production nucléaire d’énergie.
Pour le mpOC, contrairement à ce qu’affirme le lobby nucléaire et ses affiliés, le renchérissement des prix de l’énergie nécessite une sortie rapide du nucléaire qui devient plus dangereux à mesure que les prix du pétrole montent et que sa disponibilité à venir diminue.
Le pic du pétrole et la dangerosité de la filière nucléaire plaident résolument pour la réduction drastique de la consommation énergétique.
La production nucléaire d’électricité sert avant tout à alimenter la boulimie énergétique nécessaire au maintien de la surconsommation matérielle, laquelle est indispensable à la poursuite de la croissance économique. Il n’y a pourtant pas de croissance économique infinie possible sur une planète aux ressources limitées.
Le mpOC estime que Fukushima devrait être considéré comme un signal ultime : rappelant à l’Homme qu’il ne peut maîtriser la nature à l’aide de ses artifices techniques, cet accident majeur plaide inconditionnellement pour un changement complet de cap et l’arrêt du productivisme.
Il n’existe pas d’avenir souhaitable dans la démesure de la croissance infinie.
Il est désormais urgent de planifier démocratiquement et solidairement la décroissance de la production et de la consommation pour revenir à des modes de vie soutenables.
Contact porte-parole - Jean Baptiste Godinot : 0488 200 175
20110318_mpOC_Fukushima
[2] www.asn.fr
[5] The Japan Times, 16 mars 2011 http://search.japantimes.co.jp/cgi-...
[6] Voir par exemple la liste suivante : http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_...
[9] « Des parties de la population pourraient percevoir le bouleversement déclenché par le peak oil “comme une crise systémique générale”. Cela créerait “de la place pour des alternatives idéologiques et extrémistes aux formes existantes de gouvernement”. Un fractionnement de la population affectée est jugé probable et pourrait conduire “dans des cas extrêmes à des conflits ouverts”. » cité par M. Azonneau : http://petrole.blog.lemonde.fr/2010...
Article Der Spiegel online : http://www.spiegel.de/international...
Rapport de l’armée Allemande : http://peak-oil.com/download/Peak%2...
[10] Ecolo 14 mars 2011 http://web4.ecolo.be/?Cette-catastrophe-nous-rappelle-qu
[11] PS, 16 mars 2011 http://www.ps.be/Source/PageContent.aspx?ParentID=884&MenID=33110&EntID=1