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mpOC | Posté le 8 juin 2020
Billet bimestriel - mai 2020
C’est dans son célèbre ouvrage, La grande transformation (1944) que Karl Polanyi a avancé le concept de « désencastrement » de l’économie (opéré et réussi par le libéralisme), terme signifiant son autonomisation vis-à-vis de toutes les lois sociales, morales, éthiques ou même juridiques des sociétés humaines traditionnelles. Alors que toujours et partout, l’économie était au service des finalités choisies par chaque groupe humain, depuis le XIXe siècle, le capitalisme a fait d’une économie en croissance continue le seul but des sociétés dominées par la loi du profit monétaire. Chr. Bonneuil décrit cela comme la volonté de « faire du système Terre tout entier un sous-système du système financier » (« L’Anthropocène et ses lectures politiques », Attac France/Institut Momentum).
Or, voici qu’à l’occasion d’une grave crise sanitaire, la plupart de nations ont osé mettre en avant une autre finalité collective. Pour sauver des vies, les autorités ont mis entre parenthèses l’économie et ses diktats et ont fait ralentir la machine productiviste. Certes, on est conscients que, pour le dominants, ce n’est que passager et ils prient déjà pour que vienne vite « la relance », la reprise des consommations même lorsqu’elles sont inutiles ou dangereuses.
Allons-nous les laisser faire ? Beaucoup ont réalisé qu’à côté des lourds inconvénients du confinement, il y a d’autres valeurs, largement plus essentielles que l’accumulation de biens marchands. Que ce soit la liberté, l’autonomie, les contacts sociaux avec nos parents, nos amis, nos collègues, l’accès à la nature ou à la culture, l’amitié, l’amour : tout cela est plus précieux que la course sans fin à plus de choses ou de services marchandisés dont nous devenons esclaves .
Déjà, les détenteurs du pouvoir essaient d’imposer à nouveau leur récit d’adoration des choses matérielles. Toujours avec le prétexte de l’emploi, ils veulent que les usines tournent à nouveau à plein régime. Alors que la récession, dont les structures néolibérales sont largement la cause, serait le bon moment pour réduire le temps de travail contraint, les organisations patronales imaginent l’augmenter, supprimer des congés et accroître les cadences. On imagine l’explosion du chômage que cela va provoquer. Ils refusent de voir qu’est venu le temps du partage (du temps de travail et des revenus qui y sont liés).
Aveugles, têtus, les productivistes refusent aussi de voir qu’un simple ralentissement désordonné a eu des avantages écologiques indéniables : baisse de la pollution de l’air, du nombre de morts sur les routes, etc. Rien ne les fait dévier de leur obsession et si, dans les démocraties quelque peu sociales, l’État a fort heureusement pris des mesures pour aider les travailleurs qui ont perdu leur emploi ou les indépendants et PME qui ont vu s’arrêter leur activité, les gros paquets de milliards d’euros vont surtout, hélas, vers les activités les plus nuisibles : compagnies aériennes, industrie automobile... Tous ces investissements publics, utiles d’un côté et destructeurs de l’autre, sont financés par l’emprunt. La dette publique qui en résulte, qui va la payer ? Une fois de plus sera-ce la grosse majorité de la population victimes de politiques d’austérité ou les riches prêteurs qui vont s’enrichir encore et encore ? L’avenir n’est pas écrit, il sera ce que nous en ferons. Notre civilisation est au carrefour et c’est maintenant qu’il faut agir pour que les bons choix soient faits.
Au-delà de la multiplication des manifestes et cartes blanches qui, soudainement, regorgent pour la plupart d’idées défendues depuis longtemps par les objecteurs de croissance et que nous avons donc souvent cosignés, il faudra nous organiser pour résister aux prophètes du retour au business as usual qui vont utiliser leurs porte-voix habituels pour tenter de reconstruire l’ancien monde.
A cet égard, en Belgique francophone deux collectifs se préparent à agir dans la durée et avec la radicalité que l’urgence, vitale au sens propre du mot, exige. Tous deux proposent des avancées sociales, écologiques et démocratiques mais surtout proposent à chacun∙e d’agir avec eux et de s’inscrire dans une lutte qui sera longue et difficile.
Voici les coalitions qui sont selon nous sont les plus prometteuses :
Comme nous le suggère l’écosocialiste décroissante Corine Morel Darleux, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce (Éditions Libertalia, 2019) : en nous inscrivant dans de telles démarches nous pourrons agir ensemble et, enfin, nous désencastrer, nous libérer du joug épuisant de l’impérialisme économique et construire une société dont les finalités humaines seront définies collectivement et plus par une poignée de possédants.