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Révolution ? Quelle révolution ?

mpOC | Posté le 24 mars 2020

Par Michel Weber, philosophe et membre du mpOC (notamment)

Parmi les thèmes qui sont récurrents ces jours-ci sur fb, celui de la révolution ou, pour le dire de manière plus policée, celui d’un renouveau de la bonne gouvernance, est fréquent. Pour comprendre les possibles et les contraster avec les tempêtes passées, il suffit de s’en remettre à Orwell, que je vais légèrement actualiser en simplifiant tant que possible (tout en sachant le prix à payer pour cette simplification).

La prémisse est sociologique :
Au sommet de la hiérarchie sociale on trouve ceux que l’on nomme traditionnellement la (plutôt invisible) très haute bourgeoisie. Ils savent que pour « que tout reste tel que c’est, il faut que tout change » (Lampedusa), et ils ont les moyens de créer périodiquement un chaos sur lequel ils seront d’autant plus à même de surfer très facilement qu’ils en sont l’origine.
(Etymologiquement, une crise est une opportunité, et, pour eux, c’est économiquement vrai ; c’est le moment où on fait de bonnes affaires car le petit porteur doit vendre. C’est également politiquement vrai : cf. le capitalisme de catastrophe et la doctrine de choc de N. Klein.)

Pour ce faire, ils s’appuient sur leurs fidèles lieutenants de la haute bourgeoisie, eux-mêmes experts marionnettistes disposant des ressources médiatiques (tout à été acheté au fil des ans, même le Diplo ne ressemble plus à grand chose depuis 2006), des leviers politiques (idem), et idéologiques (surtout depuis 1989).

La thèse est orwellienne : les révolutions ne sont jamais que des révolutions de palais, durant lesquelles la haute bourgeoisie (le parti extérieur) remplace, plus ou moins subrepticement, la très haute bourgeoisie (le parti intérieur) en s’appuyant sur les 99 pc d’exploités (les prolos).

La typologie de Luttwak est ici très éclairante pour comprendre que, de fait, les structures en place sont indéboulonnables. D’une part, l’attaque frontale n’est plus possible, que ce soit sous la forme de l’insurrection populaire (confrontée à des outils de désinformation et, surtout, de répression brutaux et sophistiqués) ou de la grève générale (les ressources viennent rapidement à manquer et les grévistes qui n’ont pas été envoyés à l’hôpital ou au cimetière retournent à l’usine ou au chômage).
D’autre part, l’attaque latérale (sous la forme de la guérilla, qui ne doit _pas_ être confondue avec le terrorisme, étatique par vocation) est longue, hasardeuse, et sert de prétexte à l’exacerbation du totalitarisme.
Par contre, le coup d’État, tel qu’il le définit, permet à la haute bourgeoisie de se substituer à la très haute bourgeoisie sans que rien ne change, fondamentalement, voire sans que les 99pc s’aperçoivent de quoi que ce soit. Point n’est toujours besoin d’envoyer le peuple à l’assaut de la Bastille ; il peut suffire de détourner les énergies d’une petite partie de l’appareil sécuritaire de l’État pour devenir calife à la place du calife. (Les exemples historiques sont d’autant plus surprenants.)

La conclusion est simple : les soubresauts auxquels les 99pc assistent échappent nécessairement à leur compréhension et à leur volonté d’autonomie. Le formatage de l’opinion est un processus évolutif à étage ; sans vouloir être exhaustif :

Censure : refuser l’accès à une info (isoler)
Désinformation : propager de fausses info (dévoyer)
Propagande : gonfler de vraies info (séduire)
Sur-information : inonder les gens d’infos (vraies, fausses, vraiment fausses, faussement vraies etc) (désorienter)

Atomisation de la société : c’est le fondement du libéralisme (Mandeville 1714 avant Smith 1776)
Uniformisation (conformisation) des individus : particulièrement nécessaire depuis la révolution industrielle (1784), elle en est également le produit (Tocqueville 1835)
Terreur : paralyser par l’angoisse (1792 —soit, très précisément au moment où Sade écrit)

A chacun sa conclusion, la mienne est empruntée à Gramsci : je suis pessimiste avec l’intelligence, mais optimiste par la volonté.

Pessimiste car, dans le cas qui nous occupe, on assiste simplement à une accélération de la tendance totalitaire d’une société technocratique dans le cadre d’une crise globale systémique identifiée dès 1968. Si on se demande dans quelle direction ce mouvement va se faire, il suffit de questionner le pilote : le bref interlude soviétique mis à part, la technique a toujours été pilotée par les capitalistes (la "bourgeoisie"). Historiquement, un totalitarisme capitaliste s’appelle fasciste ou, mieux, nazi. (Hitler n’était pas Mussolini.)

Optimiste car, comme l’écrivait V. Hugo, rien n’est plus imminent que l’impossible (Les Misérables, 1862)

Huxley, Aldous Leonard, Le Meilleur des Mondes [1932]. Trad. par Jules Castier, Paris, Plon, 1977.
Luttwak, Edward, Coup d’État. A Practical Handbook [1968], New York, Alfred A. Knopf, 1979.
Orwell, George, Nineteen Eighty-Four [1949]. Traduit de l’anglais par Amélie Audiberti, Paris, Gallimard, 1950.
Tomasi di Lampedusa, Giuseppe, Il Gattopardo, Milano, Feltrinelli, 1958.
Weber, Michel, Pouvoir, sexe et climat. Biopolitique et création littéraire chez G. R. R. Martin, Avion, Éditions du Cénacle de France, 2017.

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